"Il y a d'autres secteurs de la population qui crient famine...!"

Le Québec Étudiant
Volume 01 - Numéro 01
6 septembre 1977

[Entrevue avec Jacques-Yvan Morin, alors ministre de l'éducation.]

QÉ : Considérez-vous la clientèle étudiante comme acquise au Parti Québécois ou à sa philosophie de l'éducation?
- La clientèle étudiante reflète en générale les orientations politiques de ses aînés. Il n'y a pour ainsi dire pas de différence en termes de pourcentage. Les jeunes, on a pu le constater statistiquement parlant, sont orientés souvent selon les choix politiques des parents.

QÉ : Dans la situation actuelle, la clientèle vous est-elle favorable dans une majorité?
- Oui, en majorité, nous avons lieu de croire, à partir de sondages, qu'elle est peut-être un peu plus favorable que les autres classes d'âge. Les sondages nous ont démontré que notre force est répartie à peu près également sur toutes les classes d'âge. Peut-être un peu moins passée la cinquantaine, peut-être un petit peu plus en bas de trente ans, mais ce ne sont pas des écarts considérables par rapport aux autres fourchettes d'âge.

QÉ : De quelle façon considérez-vous la clientèle étudiante en tant que centrale syndicale ou comme force d'association, est-ce une véritable force?
- Si une centrale possède une force politique considérable, surtout si elle est vraiment représentative de ses membres. De ce point de vue, il importe beaucoup au ministre de l'éducation et au gouvernement que ses politiques éducatives obtiennent l'appui de toutes les centrales syndicales. Bien sûr, à plus forte raison d'une centrale comme la CEQ qui est axée directement sur les activités éducatives, ou encore d'une centrale comme l'Aneq.

QÉ : Est-ce que l'Aneq a un poids spécial pour vous?
- Elle représente le milieu étudiant de façon . . . en particulier depuis quelques années, d'une façon que je juge très intéressante. En tout cas, je ne voudrais pas prendre une décision majeure sans connaître le point de vue de l'Aneq. Je ne dis pas que nous sommes à la remorque de ces centrales, mais nous ne voudrions pas prendre de décisions majeures sans savoir ce qu'elles pensent, sans les avoir consultées. C'est la raison pour laquelle j'ai rencontré d'ailleurs, dès les premiers mois de mon entrée au ministère, les représentants de l'Aneq.

QÉ : Dans votre discours à l'assemblée nationale, le coût de l'éducation était selon vous, trop élevé.
- C'est un des coûts les plus élevés du monde occidental, par tête, j'entends. C'est parce qu'il faut tenir compte aussi des affaires sociales. Il n'y a pas que l'éducation qui soit au nombre des préoccupations du gouvernement. Il y a d'autres secteurs de la population qui crient famine et qu'on ne peut pas négliger non plus. Je pense, par exemple, au secteur des garderies, aux personnes âgées ; elles aussi ont besoin de l'attention du gouvernement, et si, pour mettre plus d'argent dans l'éducation nous soyons obligés de négliger ces autres responsabilités sociales, je ne pense pas que nous soyons un bon gouvernement.

QÉ : N'est-ce pas faire porter l'odieux de la situation sur les étudiants? Robert Bourassa disait : «Va t'il falloir diminuer les pensions de vieillesse pour pouvoir vous donner une certaine gratuité ou des avantages de Prêts Bourses?»
- Entendons-nous bien. Au niveau de l'école primaire, secondaire et du Collège, nous avons atteint la gratuité. Au niveau universitaire, les frais de scolarité ne représentent pas 10% des argents qui sont dépensés par les universités dans l'enseignement supérieur. De sorte qu'il nous reste très peu à franchir sur le chemin de la gratuité complète et je pense que d'ici quelques années cette étape sera franchie. Donc on va vers la gratuité complète de l'enseignement. Il faut bien sûr rétablir les finances publiques avant de procéder à ces étapes-là pour être bien sûr que nous ne pénalisons pas d'autres secteurs de la population.

QÉ : Quand vous parlez de gratuité, parlez-vous des frais à l'inscription?
- Je pense aux frais de scolarité qui vous le savez maintenant ne sont plus exigés que dans quelques établissements universitaires (sic). Dans d'autres maintenant, c'est la gratuité. (1)

QÉ : Ces frais représentent un très petit pourcentage des frais qu'un étudiant doit débourser pour son habillement, son logement et sa nourriture dans le milieu universitaire, y compris tous les services connexes.
- C'est justement la raison pour laquelle il y a un système de Prêts et Bourses.

QÉ : Vous croyez donc qu'un étudiant doit s'endetter pour persévérer dans ses études?
- Non. L'étudiant ne devrait pas, du moins, se trouver handicapé au départ en sortant de ses études. Il peut, cependant... compte tenu du fait que beaucoup d'entre-eux travaillent. Il peut cependant, et la société attend de lui qu'il fasse un certain effort pour obtenir son éducation compte-tenu de l'état actuel des finances du Québec. Peut-être que le moment viendra, et je souhaite que le moment vienne, où nous pourrons songer à des formules non seulement de gratuité scolaire, mais aussi de pré-salaire. Vous savez que beaucoup de gens au sein du parti Québécois songent à des formules comme celle-là.

QÉ : Le régime des prêts et bourses exige actuellement de l'étudiant la moitié de ce qu'il n'a pas. On fait des opérations mathématiques sur une somme qui n'existe pas toujours, pour nombre d'étudiants.
- C'est un fait. Etant donné ce que ça coûte, nous ne pouvons pas faire mieux pour l'instant.

QÉ : Cela remet sur le tapis la question de l'accessibilité. Vous disiez dans un discours à l'assemblée nationale que l'accessibilité serait maintenue au niveau actuel pour 1977-78. Pensez-vous que la population du Québec de toutes classes peut se prévaloir de l'éducation supérieure? François Cloutier, votre prédécesseur affirmait que l'éducation n'était pas encore également accessible à tous les secteurs de la population?
- Ca reste juste quoiqu'il y ait eu quelques améliorations depuis l'an dernier, mais il reste vrai que tous les garçons, toutes les filles qui ont le talent pour faire des études supérieures n'y ont pas accès.

QÉ : Le régime actuel de prêts-bourses, par la dépendance aux parents, prive ceux dont les familles ne peuvent réellement payer.
- C'est juste. Dans un premier temps, il faut constamment améliorer les normes exigibles en vertu des prêts-bourses et, à un moment qui reste à déterminer et que je souhaite le plus rapproché possible, mais qui dépend cependant de l'état des finances du Québec, il va falloir dans un deuxième temps que nous songions à des formules plus généreuses que les prêts-bourses.

QÉ : Dans le programme du parti Québécois, il est écrit qu'un gouvernement du parti Québécois s'engage à instituer la gratuité scolaire à tous les niveaux. Aucune date n'est mentionnée. Le problème a été posé dès 1945 par le Quartier Latin, repris en 1963 par M. René Lévesque, et en 1966 le gouvernement libéral prévoyait établir avant 1972 la gratuité scolaire à tous les paliers. Le gouvernement du parti Québécois voit encore à long terme ces mesures?
- Entendons-nous bien . Il le voit, si possible, au cours de son premier mandat, aussitôt que les finances publiques du Québec nous permettront de faire encore mieux que nous n'avons fait jusqu'ici . ( . . .)

Entrevue par P. Potvin

1 - Après vérification, dans toutes les universités au Québec, les étudiants doivent payer des frais de scolarité. Quelques endroits accordent un délai de paiement, de 6 à 12 mois. (BNIR)

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