Le Québec Étudiant
Volume 01 - Numéro 01
6 septembre 1977
Au début de l'été, des représentants de l'Aneq rencontraient M. Jacques Couture, alors ministre du Travail, dans le cadre de la présentation du projet gouvernemental sur les emplois d'été. En effet, le Service de placement du Québec inaugurait cette année un système de loterie pour sélectionner les étudiants éligibles aux 38,000 emplois promis pour cette été. Lors de cette rencontre, les représentants étudiants en avaient profité pour dénoncer l'incohérence entre la politique de placement et celle des prêts et bourses. Ils avaient alors souligné l'écart considérable entre les salaires réalisables et les exigences financières du ministère de l'éducation dans l'attribution des prêts et bourses ; ces exigences sont supérieures à ce que pouvait réaliser un étudiant travaillant dans le cadre du Service de placement étudiant. A cette occasion, le ministre Couture dit partager le même point de vue que l'Aneq et proposa la création d'un groupe de travail chargé d'étudier cet aspect ainsi que la durée des emplois. L'Aneq répondit à cette offre peu de temps après, soit le 19 mai. Ce n'est que longtemps après soit le 26 juillet que le ministère du travail manifesta son intention réelle de participer au groupe de travail conjoint et ce pas avant le mois de septembre c'est ce qu'écrivait le directeur général Michel Brouillard dans la lettre qu'il fit parvenir au bureau de l'ANEQ ; alors que cette dernière a toujours insisté sur l'urgence du problème et de solutions pour y remédier.
Le chômage : un problème aux dimensions canadiennes
Même si, traditionnellement, le Québec a toujours eu un taux de chômage plus élevé que la moyenne canadienne, on doit cependant ajouter qu'en 1977, le chômage a pris des dimensions dramatiques à travers tout le Canada. Ainsi Statistiques Canada annonce que tout près d'un million de canadiens ont été en chômage cette année. Comme le démontre le tableau ci-après, on peut conclure que le taux de chômage a été sans cesse croissant depuis une dizaine d'années. Toutefois, on remarquera qu'avec l'introduction de la loi C-73 en 1975, le taux de chômage a fait un bond à tout le moins inquiétant.
Tableau 1 :
1966 - 267,000 - 3.6%
1967 - 315,000 - 4.1%
1968 - 382,000 - 4.8%
1969 - 382,000 - 4.7%
1970 - 495,000 - 5.9%
1971 - 552,000 - 6.4%
1972 - 562,000 - 6.3%
1973 - 520,000 - 5 .6%
1974 - 525,000 - 5.4%
1975 - 697,000 - 6.9%
1976 - 736,000 - 7.1%
1977 - 878,000 - 8.1%
De plus, on pourra constater que ce sont les jeunes de 25 ans et moins qui portent actuellement la plus grande part du fardeau qu'impose le chômage, que ce soit par la croissance du taux des sans-emploi ou encore par les conséquences sociales qu'entraîne le chômage. Alors qu'en 1953, le groupe d'âge compris entre 15 et 24 ans connaissait un taux de chômage 1.8 fois supérieur à la moyenne générale ; le taux atteint en 1976 s'élevait déjà à 2.5. Encore ici, on note que c'est lors de l'adoption de la loi C-73 que le taux a connu son bond le plus important. Non seulement, les jeunes de moins de 25 sont-ils en chômage plus souvent, pire encore, ils le demeurent plus longtemps que les gens âgés. La moyenne canadienne établit à 13 semaines, le chômage du jeune de 25 ans et moins.
Le chômage est un problème global
Dans ses récentes interventions, l'Aneq a toujours fait valoir le point de vue que malgré que le chômage estival chez les étudiants prenait des proportions de plus en plus alarmantes, on devait cependant considérer que le chômage est en soi un problème qui n'est pas saisonnier, mais intimement relié à la situation économique que nous vivons. A cet effet, l'Aneq considère que le chômage est menaçant pour les gradués du système scolaire et que l'on ne peut plus affirmer aujourd'hui que notre diplôme débouche automatiquement sur un emploi. Comme le soulignait d'ailleurs Maurice Jannard le 27 juillet dernier dans La Presse, les possibilités d'emploi pour les administrateurs et les professionnels se sont même détériorées. Selon les chiffres fournis par le Conseil de placement professionnel, les ouvertures pour les administrateurs, comptables, ingénieurs et autres professionnels ont diminué de 20% au cours des six premiers mois de l'année 1977. Quant au juge Brossard, bâtonnier du Barreau du Québec, il prédisait en début d'année que près de 60% des finissants en Droit seraient sans emploi. Encore, une fois c'est au Québec que la situation s'est le plus envenimée. Le chômage ne guette pas uniquement les diplômés de l'enseignement universitaire ; c'est ce que révélait «Le Soleil» en juin, grâce aux résultats d'une enquête menée auprès d'étudiants de Cégeps, (par la Commission des conseillers d'orientation et psychologues de la Fédération des Cégeps, une enquête d'une rigueur scientifique incontestable selon le même journal). Parmi les résultats obtenus, on remarquait l'inquiétude des jeunes interrogés. On remarque leur crainte de ne pouvoir financer leurs études (58.8%), également, ils redoutent la pénurie d'emploi (50%) et sont inquiets en ce qui concerne la pertinence de leur orientation professionnelle (34.7%). Enfin 42% d'entre eux avouent être «stressés» ; et avec raison lorsque l'on considère l'insécurité à tout point de vue qui plane devant eux.
Suicides
Comme faisant écho à cette enquête, Lysianne Gagnon décrivait récemment dans la revue L'Actualité le suicide d'une jeune fille de 17 ans qu'elle attribuait au désespoir qui a pris place dans nos écoles. Pour confirmer ce fait, on peut se pencher sur une étude récente réalisée par le U.S. Congress Joint Economic Committee qui révélait un corrolaire bien net entre le taux élevé de chômage et le nombre des tentatives de suicide. Ce comité d'étude qui a revu les statistiques de chômage depuis 40 ans a démontré que dans les périodes de relative prospérité, les tentatives de suicide décroissaient, alors qu'elles montaient dangereusement en flèche lorsque le taux de chômage franchissait le cap du 4% ; (ce taux actuellement de 10.3% pour le Québec.) Ceux-ci estiment également qu'environ 1,500 suicides réalisés entre 1970 et 1975 étaient le résultat direct d'une hausse de 1.4% taux de chômage en 1970 tandis que 1,700 homicides commis pendant la même période étaient reliés à la même cause. Malgré que l'on ne puisse affirmer que les résultats de l'étude américaine s'appliquent entièrement à notre situation, nous pouvons reconnaître toutefois que certains caractères généraux sont parfaitement appropriés. Quoiqu'il n'y ait aucune étude de ce genre qui ait été faite au Canada, nous détenons cependant une information assez pertinente, en particulier à l'égard des tentatives de suicide. De plus en plus de jeunes choisissent comme issue le suicide comme l'exprime la moyenne d'âge qui atteint présentement 30 ans par rapport à 45 ans il y a encore quelques années. Mais 30% de toutes les tentatives de suicide sont le fait de jeunes en bas de 30 ans.
Si le suicide est un échappatoire qui attire aujourd'hui davantage de jeunes, on doit toutefois reconnaître qu'il n'affecte un nombre relativement minime encore de jeunes chômeurs, car il existe déjà des conséquences encore plus subtiles et dangereuses au chômage sans trêve chez les jeunes. L'Aneq, lors de la rencontre avec Jacques Couture, alors ministre du Travail, avait déclaré à cet effet qu'en ne fournissant pas d'emplois aux étudiants, le gouvernement encourage le scabisme ; ce qui dans les faits divise les étudiants et les travailleurs. Aussi, il n'offre aucune alternative à la jeunesse et crée un malaise social, ex. : la «délinquance juvénile.» D'autre part, nous sommes à même de constater l'influence grandissante que sont en train d'acquérir les démagogues de l'extrême-droite et de l'ultra-gauche. On n'a qu'à penser aux aspects dogmatiques des cultes religieux comme «La croix et la dague» de Wilkinson ou encore aux pratiques réactionnaires de l'Eglise de l'Unification de l'homme d'affaire Moon.
Par ailleurs, beaucoup de jeunes en désespoir de cause adoptent comme raison du chômage la thèse à l'effet que les immigrants seraient les grands responsables. Pierre-Elliott Trudeau, premier ministre du Canada, a fait valoir un tel point de vue pour justifier l'adoption de la loi sur l'immigration C-24 qui n'a rien à voir avec le travail. Cette loi se rapporte en premier lieu à l'arbitraire dans les admissions au Canada, plus particulièrement en ce qui regarde «l'intégrité politique» de la personne qui désire immigrer. François Couture, secrétaire général de l'Aneq, a d'ailleurs dénoncé cette politique du gouvernement canadien alors qu'il se trouvait au séminaire international sur le chômage à Dusseldorf en République fédérale d'Allemagne. En exploitant ce mythe nos journaux et nos politiciens ont contribué largement à la recrudescences du racisme dans nos grands centres, que ce soit à Montréal ou encore à Toronto.
Le symposium international sur le chômage
Durant le symposium international sur le chômage, l'ANEQ a été à même de constater que la situation vécue au Québec et au Canada dans son ensemble présentait des caractères presque point pour point similaires à la situation en général dans les pays dit «capitalistes avancés». D'ailleurs, les délégués de la République fédérale d'Allemagne, ceux du Japon et de l'Europe occidentale ont déclaré d'un commun accord que le problème du chômage devait devenir une priorité pour l'Union internationale des étudiants afin d'en venir à des solutions concrètes. Quant à l'Association nationale des étudiants du Québec, elle y a déclaré que le travail est un droit et un élément utile et nécessaire au développement de la société. Elle a enfin insisté sur le fait que ces coûts devaient être assumés par les monopoles ou la grande entreprise, y compris les multinationales américaines. Au Canada anglais, certaines organisations ont également fait valoir des propositions qui, dans l'ensemble, rejoignent celles mises de l'avant par l'ANEQ.
Les projets du gouvernement fédéral
Comme le disait la représentante du Centre de main-d'oeuvre du Canada (région de Montréal) lors d'une émission d'affaires publiques à Montréal, le gouvernement du Canada fait la distinction entre travail d'été et chômage en général. Le confirme les programmes d'emploi d'été encouragés par le gouvernement fédéral cet été. L'Aneq dans un communiqué à la presse avait déclaré que ces «programmes sont également insuffisants et certains poursuivent des objectifs militaires ou para-militaires qui n'ont qu'un seul but : embrigader la jeunesse. L'Aneq dénonce publiquement les programmes d'instruction des réserves, subventionnés par le ministère de la défense nationale, d'ordre et de sécurité publique du ministère du Solliciteur général et le programme Katimavik». Ce dernier programme consiste en fait en la création de camps de travail où les jeunes sont rémunérés à $1 .00 par jour pour une période de 10 mois au terme de laquelle ils reçoivent une prime de $1,000. Ces camps de travail rappellent par leur forme les pratiques honteuses des années de la grande crise et ont valu que le National Union of Students, au Canada anglais les qualifie de «Barnie's Brown-shirts» du nom de Barnie Danson du Ministère de la Défense.
Le témoignage d'un étudiant, François Renouf, paru dans La Presse indique à tout le moins les griefs de l'Aneq. Il écrit; suite à son renvoi pour surplus de personnel : «Pourquoi nous-ont-ils engagés? Voulaient-ils rire de nous ou quoi? Ils savent très bien que nous sommes étudiants et que nous n'avons que la période de l'été pour ramasser de l'argent pour payer nos études.» Au début de sa lettre, il indiquait que la compagnie qui l'avait embauché l'avait fait en sachant très bien que le tiers du salaire serait payé par le gouvernement provincial. Comme le disait l'Aneq au début de l'été : «En 1977, la situation est loin de s'être améliorée, au contraire. La politique du gouvernement provincial en matière d'emploi d'été n'a rien à voir avec la création d'emploi, mais se résume à une politique de subvention directe à l'entreprise privée.» Quant aux perspectives à long terme, il ne semble pas s'en dégager ni de la part du gouvernement du Québec, ni de la part du gouvernement fédéral qui faisait savoir par le biais du ministre des Finances, M. Donald Macdonald que le gouvernement avait repoussé jusqu'à l'automne le programme fédéral de création d'emplois que lui-même devait exposer au début du mois d'août. De plus, il n'a nullement précisé la raison d'un tel retard.
Les perspectives à venir
L'Aneq, quant à elle, a fait savoir depuis le début de l'été son inquiétude et ses appréhensions face au futur. Lors de la parution du sondage mené auprès des étudiants de niveau collégial, le secrétaire général d'alors, André Rémillard, avait déclaré à la presse que «l'école prépare actuellement la venue d'une génération déçue, désoeuvrée et instruite à rabais.» Lors du symposium international sur le chômage, tenu en RFA, le représentant de l'Association s'était interrogé à savoir si notre pays est si riche, si satisfait à tout égards, que l'on puisse mettre au rancart des centaines de milliers de travailleurs. A cela, l'Aneq a répondu par la négative en alléguant qu'il existe encore des besoins criants dans notre société qui sont pourtant délaissés par le gouvernement et les monopoles, en prenant par exemple la pénurie de logements, les services de santé lamentables et la dégradation de notre système d'éducation. Ce ne furent toutefois pas de vaines dénonciations : Au lendemain du 7ème congrès de l'ANEQ qui a adopté une résolution faisant du chômage une priorité de travail, le Conseil Exécutif a entamé une série de démarches pour organiser une action concertée contre le chômage et ses effets. Ainsi, l'Aneq invitait récemment les trois autres centrales du Québec (CSN, CEQ et FTQ) à participer à une rencontre inter-syndicale afin d'explorer les avenues possibles d'une action commune. Déjà, la Centrale de l'enseignement du Québec, la Confédération des syndicats nationaux et aussi la Fédération des travailleurs du Québec ont laissé voir leur intérêt pour une telle rencontre qui est d'ailleurs prévue pour le début de septembre. Enfin, le 7ème congrès national de l'Aneq a donné mandat à ses représentants d'organiser une conférence nationale sur le chômage afin de faire valoir entre autres le droit au travail, y compris le droit à un emploi pour les finissants du système d'éducation.
Comme des expériences récentes l'ont démontré la garantie d'un emploi, est un des meilleurs moyens pour mettre un terme à l'endettement de l'étudiant et pour assurer l'accessibilité aux études à tous les niveaux. Et enfin, comme l'explique un document de l'Aneq paru au cours de l'été «il n'y a pas de solution exclusivement étudiante au problème du chômage, comme il n'existe pas de problème distinct du chômage chez les étudiants. La lutte doit donc être menée par toute la population, pour affirmer le droit au travail et pour une politique de développement économique qui en permette l'obtention.»
Par Daniel Pauquet
Secrétaire à l'information
Dossier chômage : avez-vous travaillé cet été?
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