Deux ans dans les camps de concentration au Chili

Le Québec Étudiant
Volume 01 - Numéro 02
27 septembre 1977

Réalisé à Dusseldorf, R.F.A. (Allemagne Fédérale)
par Jean-François Couture

«le Québec Etudiant» vous présente dans ce deuxième numéro une entrevue réalisé cet été au Symposium international sur le chômage [Dusseldorf, RFA]. L'entrevue recueille le témoignage de deux étudiants chiliens, représentants du Consejo de Presidentes de federaciones Universitarias de Chile. Nous saisissons donc l'occasion du quatrième anniversaire du coup d'état au Chili [le 11 septembre 1973] pour souligner la lutte du peuple chilien, de sa jeunesse, et de ses organisations démocratiques au Chili et au Québec [Association des chiliens à Montréal et le Centre Pablo Neruda à Québec] contre le régime de dictature du général Pinochet.

La rédaction

Q.- Où vivez-vous présentement?
Daniel.- «En ce moment, nous vivons comme exilés à Frankfort en Allemagne fédérale.»

Q.- A quel moment avez-vous réussi à vous évader du Chili?
Daniel.- «Après avoir travaillé dans la clandestinité jusqu'en 7 5.»
Manquel.- «J'ai été enfermé dans dix camps de concentration divers, avec des tortures également. Pendant 4 mois, j'ai été sans aucune communication.»

Q.- Avez-vous encore de la famille au Chili?
Le traducteur:- «Il ne veut pas donner de détails, mais il a toujours de la famille au Chili.»

Q.- Quelle est la situation dans les universités chiliennes?
Daniel: Nous connaissons tous ce qui se passe présentement dans les universités chiliennes. L'université est contrôlée par des gens désignés par la junte militaire. Le rectorat démocratique d'avant a été aboli. Il y a une ingérence directe par la junte. Il en résulte un vaste licenciement des professeurs qui étaient en fonction avant '73. Egalement, on a changé tous les programmes d'étude en éliminant tout le contenu progressiste de ces programmes. Ils ont fermé beaucoup d'établissements scolaires et universitaires, en particulier une école de journalisme. Il y a des coupures de budget dans l'enseignement universitaire. Le facisme prend pour principe que ce sont les étudiants qui doivent financer l'université. Ils ont la perspective de transformer l'université en entreprise. Les frais d'inscription ont tellement augmenté qu'il devient impossible aux jeunes des familles pauvres d'accéder à l'université.»

Q.- Qui enseigne en ce moment dans les universités chiliennes?
Daniel.- «Malgré l'expulsion de plusieurs professeurs progressistes, il en reste encore. Mais ils subissent une répression constante. Il y a des raids réguliers dans les universités pour obliger les professeurs à prêter une sorte de «serment d'allégeance» envers la junte...»

«...Deux professeurs de droit ont été expulsés du pays pour leurs idées en 1976. Fernando Ortez est un autre exemple: il a complètement disparu. Il est devenu un symbole de tous ceux qui ont été éliminés ou liquidés. Les étudiants ont eu, ont subi eux aussi la répression. Il y a beauxoup d'étudiants qui ont disparu sans traces. L'exemple le plus connu est Carlos Lorca, secrétaire de la Fédération des étudiants Chiliens.»

Q.- Quel sort réserve-t-on aux compagnies multinationales?
Daniel.- «Il faut dire d'abord que le «putch» a été préparé par les militaires traîtres, les compagnies multinationales et la CIA américaine. Plus particulièrement, les compagnies impliquées sont Kennecott, Ferro corporation, Braden copper company et, bien sûr, la ITT (International Telephone and Telegraph co.). La ITT a eu la plus grande contribution, ayant préparé le putch depuis '72. Le coup lui-même est le résultat d'une longue préparation. Lorsque le coup a réussi, les seuls gagnants ont été les multinationales. Une fois au pouvoir. la junte a donné l'occasion à ces firmes d'investir au Chili et même contrôler des sectesurs qu'elles n'avaient même pas avant.»

Q.- où en est la résistance des chiliens?
Manquel.- «Nous voulons clarifier que notre résistance en est une de masse qui s'exprime par l'action des masses, des ouvriers, des étudiants etc.»

«...Malgré la répression, il y a dans la clandestinité une réorganisation des associations d'étudiants. Il faut clairement dire que la junte n'a pas réussi à implanter sa politique et d'y trouver un ralliement. Elle a tenté d'y rallier le mouvement de la jeunesse, mais la résistance a été telle que c'est pratiquement un échec. Il faut mentionner également une proclamation importante de l'Eglise Catholique qui a publié une déclaration pour les droits de l'homme au Chili. C'était non seulement une déclaration pour ces droits, mais aussi contre l'état de misère qui règne au Chili.»

«La résistance prend des formes très différentes. Par exemple, à travers les centres culturels, la résistance trouve une forme d'organisation et de ralliement à la classe ouvrière. Malgré cet état de chose, l'Unité Populaire a réussi à fortifier son organisation, si bien qu'en 1976, il a été possible de tenir une réunion de tous les partis qui forment l'Unité Populaire.»

Q.- Qu'attendez-vous des étudiants du Québec?
Manquel.- «Nous devons dire que toute la solidarité internationale a eu une contribution importante à la lutte du peuple chilien. Ce que nous voulons des étudiants du Québec, c'est qu'ils contribuent à cette solidarité jusqu'à la fin de notre lutte. Nous connaissons bien les manifestations de solidarité qui ont eu lieu au Québec. Nous aimerions que les étudiants fassent des appels pour sauver la vie de tous ceux qui sont détenus et qu'ils participent à la lutte pour la chute de la junte qui se prépare internationalement. Le peuple chilien est reconnaissant de la solidarité internationale dans sa lutte contre la junte.»

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